En céramique blanche,
Un logo sur l’avant
Des lèvres posées sur sa tranche
Boivent un café au goût navrant
Le tiroir s’est ouvert, et elle m’a saisit. A coté de moi, sur le plan de travail, la bouilloire sifflait déjà. Les grains de café soluble font un joli bruit en tombant dans mon fond. L’eau bouillante creuse des microfissures dans mon émail.
J’ai chaud, à la limite du supportable.
Une cuillère s’enfonce en moi, me donne le tournis tout en m’esquintant les bords dans un bruit métallique. Sans me laisser le temps de calmer les flots tourbillonnants, j’ai été saisie par mon anse : je vais en réunion.
On m’a posé sur une table. Non loin de moi, le jumbo beige de la chef du service me regarde, indifférent. Les autres sont arrivées, l’un après l’autre : la tasse fleurie de l’assistante, le mug bleu marine du comptable et le verre d’eau de la stagiaire.
Nous sommes posés là, chacun devant son maître, témoins muets des secrets de l’entreprise. De temps en temps, l’un de nous est attrapé, porté aux lèvres, vidée d’une ou de deux gorgées, reposé.
Si j’avais pu être une tasse de grand restaurant, comme mes voisines de chaines à l’usine, j’aurais pu connaître la variété, les boissons exotiques. Mais il faut que je m’accepte : je suis un mug de bureau, et pas plus que l’agrafeuse je n’ai le choix de ma tâche. A cet étage, nous ne servons qu’au café en poudre, ou au thé "jaune" acheté par boite de cent sachets.
Les grains solubles ne se sont pas tous biens dissous dans l’eau bouillante et mon fond me gratte.
Je n’aime pas contenir du café lyophilisé.
Un jour, j’échapperais d’une main maladroite. Me brisant sur le sol, je connaîtrais ma fin : perdu au fond d'une longue corbeille étroite, j'achèverais ma vie stupide sans destin.
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