Il y fait bien noir,
Il y fait vraiment bon
Pas causer de démons
Eviter tout espoir
Derrière la porte
Un secret qui fait peur
Une vérité qui meurt
Plutôt qu’elle n’insupporte
Je fais parfois ce rêve étrange et récurent où petit enfant dans une grande cuisine, sentant l’encaustique et la poussière d’usine, je navigue entre des meubles d’un autre temps. Les portes de chêne massif furent cirées par les soins d’une mère aimante et anonyme, qui aurait légué l’âme d’une vie de ruine au fil du temps où trainent mes mains potelées.
La douceur vivante du bois coule sous mes doigts.
J’ouvre un placard.
Derrière la petite porte se trouve un grand espace sombre, presqu’une pièce. Je rentre dans cet abri comme Alice au pays des merveilles.
La porte claque : je suis dans le noir.
Je n’ai pas peur : je suis chez moi.
Tout ce dont j’ai besoin est là. Il y a un matelas rempli de crin, mon livre préféré, un miroir à main. Une couverture en laine, une petite voiture en métal, une guitare en bois. Un oreiller en plume, une balle en cuir, un stylo à bille.
A manger.
A boire.
L’air y est tiède, doux. Peut être un peu humide.
Retirant mes chaussons, je m’allonge sur le lit improvisé. Je me sens bien, protégé.
De l’autre côté de la porte le monde tourne, poursuit son chemin embrouillé, désenchanté. Les sons me parviennent largement étouffés, car j’échappe à cette lente litanie morne.
La vie ne peut pas m’atteindre dans ma cachette.
Les autres n’auront qu’à se débrouiller sans moi.
- Quelqu’un rit.
- Je ne sais pourquoi
- Quelqu’un meurt
- Cela ne me concerne pas.
- Quelqu’un t’appelle.
- Je ne réponds pas.
Je suis bien dans ma cachette. Tiens. Si je prenais mon livre, prouvais ma liberté ? J’attrape le volume. Il est lourd, bien épais. Sa couverture en cuir gaufré, sa tranche doré, indiquent sa valeur, son âge vénérable.
- Quel est le titre de ce bel ouvrage ?
- Je n’en sais rien. Il n’y a pas la lumière dans mon placard.
...
(Un poeme en prose, c'est le 50ème portrait -publié-...)
22 février 2010