Grand, fin flexible
Regard au loin
Souvenir paisible
D’enfants du coin
Il est dans la cour. Il était arrivé dans les bras d’un ami de la maîtresse de maison, quelques trente années plus tôt. Outre ses branches avenantes, il a pour particularité des feuilles bordeaux. Dès l’aube du printemps, sa couleur contraste dans ce jardin Normand.
Sa première branche est à un mètre à peine du sol. Au début, Daniel et Sylvia devait tendre les bras pour l’atteindre. A neuf et douze ans, les enfants n’ont plus de soucis pour grimper jusqu’à son faîte. Plus âgé plutôt que plus téméraire, Sylvia monte jusqu’à la dernière fourche, à presque huit mètre du sol. Daniel lui se contente des niveaux bas, plus faciles d’accès.
Cet arbre n’a pas de nom propre. C’est « l’Arbre », parce que lui seul compte.
Parfois navire de guerre, souvent vaisseau spatial, l'Arbre a une place spéciale dans la vie des deux enfants. Sylvia y monte pour bouquiner, Daniel y fait la sieste. Les adultes ne sont pas admis dans ce monde digeste.
Cachés par les feuilles, le dos au tronc, assis sur une fourche ou à cheval sur une branche, vit tout un monde imaginaire d’où sortent leurs aventures en avalanche. Les deux rêveurs sont spationautes au milieu des argonautes, comanches en mal de revanche, agent malins maîtrisant les vilains, aventuriers d’un monde sinistrés.
Les grands sont exclus de cet univers masqué.
Il est dans la cour, comme s’il y était né. Les branches du bas gênaient, on a dû les couper. Sa couleur pourpre tranche avec le doux vert Normand.
En prenant de l’âge, le tronc s’est épaissit, a perdu son équipage : les enfants on grandit.
Cet arbre n’a toujours pas de nom propre. C’est « l’arbre », parce que lui seul compte.
En garant sa voiture à l’ombre d’une branche, Sylvia se souvient d’une tranche des anciennes vacances de sa belle enfance.
Les grands étaient exclus de cet univers rêvé.
Il était dans la cour, Arbre tombé un jour trop venté. Un ami de la maîtresse de maison l’a débité. Ses feuilles bordeaux ont été coupées.
Daniel voit le vide, la place délaissé, refusant d’être adulte il voudrait remonter voir les vieux souvenirs de sa belle enfance. Plus de navire sur une branche, ni vaisseau spatial, plus de comanche, ni d’endroit spécial, la vie souvent tranche les rêves de façon brutale.
Cet arbre n’a jamais eu de nom propre. C’était « l’arbre », comme si lui seul comptait.